Par Marie-Jo Bourdin, Vice-Présidente de l’association Alfapsy, septembre 2023
Pour donner l’ampleur de cette violence il faut savoir que 100 à 140 millions de femmes à travers le monde ont subi des mutilations sexuelles avec 6 millions de nouveaux cas par an et 30 millions de filles risquent de la subir d’ici 2027. Les perspectives ne sont guère encourageants si l’on considère qu’entre 2015 et 2030, 68 millions de filles subiront cette mutilation ( UNFPA-Fonds des Nations Unies pour la Population).
L’excision est-elle une tradition ?
L’excision n’est pas une tradition préconisée par l’islam ni par aucune autre religion. Elle est pratiquée depuis des millénaires (remonte à l’Égypte pharaonique avec la découverte de momies excisées) dans les sociétés musulmanes, chrétiennes (coptes), juives (falashas) ;
Les Mutilations Génitales Féminines (MGF) perdurent sous différentes formes dans une trentaine de pays de l’Afrique subsahéliennes jusque dans le cadre de l’immigration, avec des localisations extra africaines en Orient, en Occident et en Amérique Latine.
L’Europe du XIXème siècle n’a pas échappé à cette pratique mais … à des fins médicales pour soigner les névroses hystériques et lutter contre l’onanisme.
Actuellement un débat oppose les imams. Certains prenant position aux risques parfois de sévères menaces. Au Sénégal un imam que l’on a surnommé « l’imam pèlerin » a sillonné les villages son Coran à la main pour dire que cette pratique n’était pas dans le livre saint.
L’excision est-elle légale ?
Du point de vue législatif, contrairement à la France, certains pays occidentaux ont légiféré en adoptant des lois spécifiques c’est le cas de la Suède en 1982, de la Suisse en 1983, de l’Angleterre en 1985 des États Unis, de l’Australie et des Pays Bas en 1993, de la Belgique en 2001 (avec pas ou peu de procès). En France c’est en 1983 que l’excision a été criminalisée suite à une jurisprudence après qu’une bretonne ait, dans un accès délirant, excisée sa fille. Des pays africains ont, avec difficultés, fait adopter des lois peu appliquées. Le Mali à forte prévalence n’a toujours pas légiféré.
Depuis 1993, le Canada accorde le droit d’asile aux femmes menacées d’excision. La France reconnaît actuellement ce droit à l’enfant (la mère ne sollicite plus pour elle cette demande mais pour sa fille même bébé) et ensuite la protection est accordée à la mère.
Ce sujet doit être abordé avec une grande prudence car nous sommes là dans un conflit de culture, une confrontation de modèles explicatoires et des représentations culturelles du corps, de l’intégrité corporelle, de la sexualité, du statut de la femme, de la domination masculine, des sociétés où l’on excise et celles où l’on excise pas d’une loi coutumière qui a encore droit de cité, confrontée à la loi républicaine.
Quelle est la dernière classification des types d’excision selon l’OMS ?
Dans des stratégies de prévention il y a urgence à informer les filles et les garçons- futurs parents, pour éradiquer l’excision dans les 20 prochaines années car ceux sont eux qui sont susceptibles dans cette période de faire exciser leurs filles pour respecter la tradition.
Afin d’introduire la notion de traumatisme pour parler des MGF, partons des 4 types d’excisions selon la dernière classification de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 2007.
TYPE I : Excision dite « SUNNA » c’est l’excision à minima avec la résection du prépuce clitoridien ou résection totale du clitoris (clitoridectomie).
TYPE II : Excision dite « COMPLÈTE » ou clitoridectomie avec l’ablation du clitoris et celle partielle ou totale des petites lèvres (c’est la plus courante – 80% -).
TYPE III : Dite « CIRCONCISION PHARAONIQUE » parce que pratiquée en Égypte depuis l’antiquité, ou « INFIBULATION », il s’agit de l’excision totale suivie d’une suture permanente de l’orifice vaginal laissant une très petite ouverture permettant le passage de l’urine et du sang menstruel. La cicatrice qui en résulte devra être incisée au moment du mariage (15 % des cas environ) et à l’accouchement.
TYPE IV : Tout autre intervention sur les organes génitaux externes tels que : les piqûres, les perforations, l’incision sur le clitoris et/ou les petites lèvres, la cautérisation par brûlure du clitoris, l’introduction dans le vagin de substances corrosives ou de plantes pour provoquer des saignements ou rétrécir le vagin.
Ces différentes mutilations ne sont pas sans conséquences ; à court, moyen et plus long terme on constate des complications médicales et obstétricales
Cependant il est important de ne pas les présenter comme inéluctables, car elles ne concernent pas toutes les femmes excisées qu’il faut se garder de considérer a priori comme des femmes malades, handicapées ou frigides. Elles sont proportionnelles à l’importance de la mutilation subie, et maximales après une infibulation.
Ces complications représentent les éléments phares de la dénonciation de la pratique et ont été dans les années 80 au centre de la mobilisation occidentale.
Le pronostic fonctionnel, cicatriciel et évolutif est très difficile à établir même si l’excision est considérée comme « légère ».
L’excision constitue-t-elle un psycho traumatisme ?
Ces mutilations représentent un véritable psycho traumatisme. Il existe en effet une forte composante psychologique dans l’émergence des problèmes sexuels des femmes excisées, comme si certaines ne s’autorisaient pas à éprouver du plaisir. Cet impact a été essentiellement apprécié dans nos sociétés occidentales ou les femmes ne se sentant pas « normales » intériorisent le discours sur le lien entre excision et l’absence de plaisir et se sentent frigides et affirment être frigides.
L’excision est un trauma sexuel et psychologique souvent indicible et pour nous irreprésentable.
Le sujet est propulsé, annulé comme réifié, c’est-à-dire qu’il peut ressentir une annulation de lui-même », l’agonie psychique dont parle, Boris CYRULNIK.
« L’effraction du corps mutilé peut provoquer un choc intense laissant la personne dans l’incapacité d’élaborer psychiquement et dans l’incapacité de donner du sens sur l’insensé de l’événement ».
La prise en charge des femmes excisées doit être pluridisciplinaire pour les accompagner dans leur globalité et leur proposer une prise en charge médicale (éventuellement chirurgicale), psychologique et sexologique en donnant une place identique à chaque spécialiste.
L’accompagnement socio thérapeutique quant à lui sera d’évaluer l’impact traumatique de la mutilation, de favoriser une remémoration élaborée et de permettre l’énonciation de ce qui a fait traumatisme.
La prise en charge du psycho trauma est un travail de déconstruction souvent acquise par les médias (à savoir pas de plaisir – pas normale – car excisée) et sur la chaîne des traumas quand c’est le cas.
Quelles sont les solutions pour « réparer » ?
La prévention, la possibilité d’avoir recours à la chirurgie réparatrice sont à envisager dans une approche de santé publique et avec au préalable la réparation psychologique.
Dans ce travail clinique il est important de savoir se décentrer, de ne pas stigmatiser et surtout savoir émigrer de ses propres certitudes car la difficulté en situation interculturelle est que l’implicite n’est pas partagé, d’où l’importance de confronter ses propres représentations culturelles et ses modèles explicatoires avec ceux des patientes. Ici, pour ce qui concerne l’excision nous sommes aussi dans une confrontation des valeurs sociétales et des rituels de passage. Selon les cultures, le corps n’est pas perçu de la même manière. Notre regard formaté par nos propres références culturelles va accorder plus ou moins d’importance aux symboliques corporelles.
Du 16 au 19 mai 2024, les 11ème Rencontres Francopsies de Sousse (Tunisie) aborderont, sans complexe, les violences faites aux femmes sur 3 journées de réflexions et d’échanges sur le thème : « Féminité et tabou ».
Alors que dans nombre de pays ou l’excision est pratiquée la sexualité reste un tabou, nous interrogerons les représentations de la féminité sans tabou ! Les violences faites aux femmes et les tabous qui y sont liés seront aussi abordées dans leurs mécanismes les plus obscurs.
Marie-Jo Bourdin est Thérapeute psycho-sociale, autrice de plusieurs articles et ouvrages, notamment sur le sujet des mutilations génitales féminines.