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Histoire et dérive de la psychiatrie en France

Par le Docteur Paul Lacaze, neuropsychiatre, psychanalyste, Président honoraire et fondateur ALFAPSY, Rio de Janeiro, 12 novembre 2017

ALFAPSY Colloque InterPsy, Rio de Janeiro, Brésil- 10 au 12 novembre 2017

En partenariat avec l’Institut Philippe Pinel (Hôpital Municipal de Psychiatrie de Rio de Janeiro) et le Corpo Freudiano (Sectionde Rio de Janeiro)

ALFAPSY vous présente le programme du 4e Colloque Inter Psy Rio de Janeiro (Brésil) 10 au 12 novembre 2016 « Folie privée, folie publique »

1/ À l’aube de la psychiatrie en France

En Europe la psychiatrie a une histoire pluri séculaire dont la partie dite contemporaine, pour la France, remonte classiquement à 1793 avec Philippe Pinel et Jean-Baptiste Pussin.

Parmi les différentes périodes du développement de la psychiatrie globalement on décrit celle du « traitement moral » puis celle de la nosographie, partagée entre psycho et organo pathologies, enfin celle des apports de la psychanalyse et des psychothérapies. On doit y ajouter, spécifiquement pour la France des 18e et 19e S., une nuance de taille : la psychiatrie issue de la période coloniale fondée tout à la fois sur des conceptions anthropo-morpho-ethnologiques et sur des traditions asilaires aux accents ségrégatifs.

2/ Naissance du Sujet dans la psychiatrie française

Il faut attendre les profonds remaniements provoqués par la 2e Guerre mondiale et la Shoa pour observer, sous l’impulsion des concepts métapsychologiques freudiens de la psychanalyse, puis de leur « relecture » lacanienne, des initiatives d’ouverture institutionnelle et d’accès à une clinique du langage. La reconstruction de la France après 1945 et sa recherche d’indépendance, son originalité en matière de solidarité avec la création de la Sécurité Sociale, et bien d’autres aspects encore ont produit une expansion démocratique de la médecine et de la psychiatrie. Si on y ajoute la mise au point des neuroleptiques comme premiers psychotropes sédatifs au détriment des pratiques de contentions physiques, manuelles, hydrothérapiques ou autres, on peut se flatter que les « Asiles d’aliénés », devenus dans les années 30 « Hôpitaux psychiatriques », aient été requalifiés en « Centres Hospitaliers Spécialisés » ou « Centres Psychothérapiques » à partir des années 60. La médicalisation de la psychiatrie est alors à son apogée : création des institutions médico-judiciaires, médico-sociales, extension du secteur privé, politique de Secteur (Livre blanc de la psychiatrie) ; pratiques de la psychanalyse et de la psychothérapie (individuelle, de groupe ou /et institutionnelle). Le contexte des années 60 et 70 devient propice à la formation et à la pratique d’une psychiatrie hors des murs de l’hôpital, avec la création du Secteur public (institution d’État), avec le développement du secteur privé (à but lucratif)  et aussi du secteur médico-social (privé associatif à but non lucratif). Plus précisément, dans le même temps que se développe l’utilisation des psychotropes dans une dimension de travail psychothérapique de Secteur public, se multiplie la création de Cabinets privés de psychiatrie et psychanalyse.

De la « vieille Europe » émerge ainsi une nouvelle génération de la psychiatrie, dynamique, créative, inspirée par la psychanalyse et ses disciples freudiens, Diatkine, Lebovici, Green, Lacan, Dolto, Leclerc, Perrier et tant d’autres…, une génération psychiatrique souvent nourrie à l’idéologie anti-concentrationnaire représentée par Lucien Bonnafé, Pierre Bailly-Salin… C’est l’apogée des expériences de psychothérapies institutionnelles illustrées par François Tosquelles à St Alban, Jean Oury à Laborde, Paul Sivadon à La Verrière, Georges Daumézon et Philippe Paumelle à Paris dans le 13e, Maud Mannoni à Bonneuil, Roger Mises à la Fondation Vallée, Tony Lainé à Étampes…plus modestement, l’expérience de Bernard Durey en Lozère : Placement familial thérapeutique « Solstice », pour enfants autistes.

3/ Autour  des ratés de la psychiatrie en France

Les succès de ces révolutions institutionnelles et de ces nouvelles pratiques de la psychiatrie sont soutenus par une plus large part de la société qui, grâce à l’accès direct et remboursé aux soins psychothérapiques, découvre la notion de bien-être psychoaffectif, d’affirmation de soi, de soins médico-psychiatriques, y compris pour les enfants, les vieillards mais aussi les fous en général. On ne parle plus de déments ni d’aliénés mais de schizophrènes, autistes, psychotiques. La terminologie psychiatrique amorce une forme de déstigmatisation.

Devant ce véritable fait de société, le politique reprend alors la main en imposant ses conditions. À partir des années 80 apparaissent les circulaires pour règlementer les nouveaux dispositifs d’admission en hospitalisation sous contrainte, les nouveaux formats hospitaliers qui valident la disparition de la dimension asilaire au profit de l’intégration des services de psychiatrie dans le cadre plus valorisant de l’hôpital général. De là se développent parallèlement les lois qui entérinent la place du patient (et de son entourage) au rang d’usager avec ses droits de regard sur son dossier ; aussitôt, sous la pression des lobbies des familles de patients, l’action sociale se traduit par l’apparition du statut de handicapé avec allocations correspondantes. Les contrôles et les démarches-qualité sont renforcés dans tous les domaines de l’activité psychiatrique. Avec les visites d’accréditation la pratique gestionnaire devient courante et s’impose progressivement partout: réduite à un simple produit de santé, une marchandise, comparable à ce qui est supposé convenir à la médecine somatique la psychiatrie, tout comme la psychologie clinique, est diluée dans une appellation sociale plus globale, à effet encore moins stigmatisant : la santé mentale.

Dès lors, le Sujet parlant est effacé au profit d’un nouvel ordre, celui de l’Objet traité.

4/ Adieu l’exception culturelle française !

Il faut dire que les conditions s’y prêtent bien sous le vent dominant venu d’outre-Atlantique : on devient pragmatique, dans l’esprit du Marché néolibéral globalisé. On accueille le DSM 3 puis 4 et 5, ses classifications numérisées et mesurables, selon une équation gagnante : virtuel-science//gestion-déstigmatisation=marchandisation ; les techniques psychothérapiques réductionnistes, objectivables, brèves, type TCC supposées plus économiques et plus évaluables ; et surtout l’explosion de l’industrie biomoléculaire qui exerce son pouvoir sur la psyché, ainsi rabattue, par l’illusion de l’imagerie et des neurosciences, au rang d’activité neuronale donc enfin digne d’intérêt dit scientifique. On en arrive aujourd’hui au déni du psychisme au profit du cérébral ! C’est souvent ce grand Marché qui, au passage, de façon directe ou indirecte, avec parfois la complicité de l’université, s’insinue dans la formation – ou ce qu’il en reste – des praticiens, avec la dérive que l’on soupçonne…

5/ Pour conclure, un mot : résistance

Avant l’avènement de la psychiatrie contemporaine, nul Sujet puisque la Religion prétendait, à elle seule, donner les réponses sans que nulle question puisse se poser. Aujourd’hui libre, la Science peut donner ses réponses à toutes les questions. Mais parfois pour le pire ! En y répondant, avant même que ne se pose la question, la Science au service du Marché comble le besoin, suscite une demande croissante et, du Sujet, étouffe de facto l’expression de son désir et de sa vérité !

La Science, quand elle dévie ainsi de son éthique, se travestit alors en un scientisme aux accents du religieux et, de la jouissance individuelle, va jusqu’à produire ce que j’appellerais une véritable jouiscience collective… Hors la vérité du Sujet, une fois réduite à l’illusion de l’Objet, peut-on encore parler de Psychiatrie ?

Aussi, pour ne pas être rabattue au rang de seule technique de l’Objet, pour qu’advienne de nouveau du Sujet dans l’écoute de la parole du patient, la psychiatrie doit de toute urgence et inlassablement savoir mettre en question les réponses  triomphantes de la dite science. C’est dans cet esprit qu’ALFAPSY a été fondée dans les années 2000, précisément  en direction de la toute jeune psychiatrie francophone d’exercice privé. Nombre de praticiens de libre pratique, certes nourris au sein de la postmodernité mais aussi confrontés aux patients et à la relation intersubjective, se sont dès lors reconnus dans les valeurs sûres de la psychiatrie psychodynamique.

En France – on le voit – la résistance en psychiatrie s’impose fort, comme rempart éthique face aux risques de confiscation de la folie privée du Sujet par la folie publique de l’Objet.

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