Organisée par le Dr Chawki Azouri, la Société Libanaise de Psychanalyse et Société Internationale d’Histoire de la Psychiatrie et de Psychanalyse
Avec le soutien de ALFAPSY – Hôpital Mont-Liban
Par Paul Lacaze, neuro-psychiatre, psychanalyste, fondateur ALFAPSY, le 30 octobre 2011 à Beyrouth
Guerre finie, guerre infinie
Atelier ALFAPSY
La guerre des maux n’aura pas lieu
Le mal que tout être humain porte en soi est une souffrance qu’il fait sienne au prix de sa névrose et de son improbable résolution spontanée sauf à en extraire une oeuvre créatrice. Les maux de l’humanité toute entière se trouvent, eux, pris dans une conflictualité relationnelle où chacun défend la représentation qu’il a de lui-même, jusqu’à la guerre, sauf à y élaborer un système collectif fait de raison et de droit, oral ou écrit.
La maladie survient quand la création fait défaut, la guerre éclate quand le droit est bafoué. Dans tous les cas, c’est la production intellectuelle qui peut sauver la situation : l’invention, la parole, les mots, tout ce qui vient à se communiquer de l’un à l’autre dans un échange, un partage et une reconnaissance de l’humain dans l’autre.
Le travail clinique nous l’enseigne chaque jour en chaque patient, de même nos quotidiens nous le rapportent inévitablement et chaque matin à propos du théâtre du monde.
Ainsi, pour soigner un mal, faut-il armer le bras médical à l’aide d’un arsenal up to date ou bien préférer avant tout l’accueil et l’écoute de la parole du patient ? Vaut-il mieux, contre le symptôme, d’une guerre en finir avec le patient, le « guér(re)ir », tout en lui promettant la fin de l’histoire au risque d’une plainte qui n’en finirait plus ? Ou bien n’en point finir de l’entendre gémir jusqu’à ce qu’il puisse enfin se dire, sans illusion mais en toute énigmatique humanité, avec l’espoir d’une révélation ?
La guerre des maux n’aura pas lieu !
Synthèse rétrospective
Alors qu’au delà de la Bekaa voisine claquent les kalachnikovs de l’oppression syrienne et que tonnent les obus de mortiers contre la révolte populaire, à l’opposé face à la Méditerranée Beyrouth, encore convalescente de ses guerres récentes, se reconstruit dans l’opulence de ses investisseurs, avec l’espoir d’une paix durable et fraternelle. Sur le damier proche oriental son « roi », Rafik Hariri, lui a tragiquement été soufflé en février 2005, raison suffisante pour qu’elle engage aujourd’hui à nouveau la partie dans l’élan de son unité nationale à sauvegarder. C’est parce qu’elle sait qu’elle ne maîtrise pas totalement son jeu, dans un environnement où les paramètres changent brusquement au gré des chutes de régimes, qu’elle se donne aujourd’hui, par ce colloque, un temps de réflexion sur les risques du passage d’une guerre finie à une guerre infinie.
Chawki Azouri ainsi que ses collègues Libanais, psychiatres, psychologues, psychanalystes, toutes et tous personnellement très engagés dans ce questionnement par leurs pratiques auprès des victimes de ces guerres, sont à l’origine de cette rencontre internationale à laquelle, avec le concours de l’Institut Français de l’Ambassade de France au Liban, ils ont convié pour en parler leurs confrères francophones venus des quatre coins du monde.
En effet où donc, mieux qu’à Beyrouth, aurions-nous pu aborder les énigmes que constituent l’origine et la résolution des conflits qui affectent la condition humaine, individuelle et collective ? Qui d’autre, sinon les soignants de la psyché, aurait osé dévoiler à ce point tant l’horreur des dégâts humains résultant de ces conflits que la sourde jouissance qui les inspire ? Quelles guerres, quels conflits, quels enjeux ? Quelles origines, quelles formes, quels processus, quel prix…? Autant de questions à passer en revue avant de caresser l’idée d’une difficile mais possible paix à atteindre, paix pour le sujet, paix pour le collectif….vers une certaine forme de sublimation à promouvoir, vers un seuil de dignité humaine à respecter, vers un besoin de reconnaissance à consacrer, de l’humain en l’autre.
Si vis pacem, para bellum. Se protéger du conflit, se préparer à la guerre. Cet oxymore ne suggère-t-il pas que l’on commence par en parler, pour en dire ses inconscients ressorts, pour en démasquer ses diables manipulateurs, pour se méfier de ses étranges malentendus, pour se débarrasser de ses puissants fantasmes ?
Le colloque de Beyrouth s’y est employé. Aura-t-il réussi ? Il aura au moins, sans aucun doute, donné à chaque participant l’envie de poursuive, pour chaque patient, ce travail de reconquête de soi et de son identité, dans sa cure personnelle comme dans sa vie citoyenne, pour éviter la fatale bascule vers l’inévitable, l’interminable et vaine recherche du bouc émissaire en l’autre. « L’éthique camusienne » nous y inviterait face au spectre de « l’impossible victoire du bien ». Car la seule morale du « pardon » s’avère une bien piètre solution faute de « célébration lucide du métissage ».
Telles sont les quelques conclusions à souligner dans ces témoignages, vécus ou réfléchis, analytiques ou méta anthropologiques, que nous ont apportés tous les auteurs particulièrement motivés de ce colloque.