Par Paul Lacaze, Neuropsychiatre, Psychanalyste, Président honoraire, Fondateur ALFAPSY, Montpellier le 30 septembre 2018
Vaut-il mieux croire ou plutôt penser ?
Tel était le titre d’un éditorial que j’avais écrit pour la lettre d’information ALFAPSY il y a peu de temps.
Croire serait plus protecteur, penser pousserait au risque… quoique, si penser sans croire peut conduire à une dérive unilatéraliste que l’on retrouve dans un certain scientisme envahissant, trop croire sans penser mène parfois également à une certaine forme de folie, meurtrière et terrifiante, comme le montre l’actualité des attentats récents partout dans le monde !
C’est dans ce contexte profondément tourmenté que nous, professionnels du soin psychique toutes qualifications confondues, tentons de nous frayer un chemin original de réflexion et d’action. Depuis ces années qui évoluent de façon progressivement accélérée, à la vitesse de la globalisation, de la communication et de la quête du tout-satisfaction, nous cherchons à façonner nos pratiques soignantes pour tenir compte de ces évolutions sans pour autant briser les chaînes de nos valeurs, de nos engagements, de nos expériences acquises, ni de nos pensées avancées.
C’est aussi dans cet esprit que notre fédération ALFAPSY, créée dans les années 2000, a lancé l’idée de réunir, particulièrement dans l’aire francophone, toutes les organisations et personnalités multiculturelles du champ de la psychiatrie pour les mettre ensemble au travail avec leurs outils conceptuels respectifs ; pour ainsi partager les obédiences et mutualiser les compétences. Après des années, de « Rencontres » en « Rencontres », il apparaît bien que le point de repère commun de nos pratiques se trouve dans la reconnaissance du caractère éminemment subjectif et intersubjectif de nos relations soignantes aux patients. Et c’est ce que nous venons encore de vérifier dans la majorité des interventions prononcées à l’occasion de ce 4e Colloque international & 4e Rencontre CitéPsy de Beyrouth 2018.
Cette pratique relationnelle intersubjective de nos métiers, pratique « transférentielle » comme il l’a dit Patrick Landman, avec ALFAPSY au niveau international nous lui attachons le qualificatif de « psychodynamique », terme certes impropre mais dont le large spectre permet une adaptation aux diverses cultures traversées. C’est elle qui, depuis l’origine, guide notre ligne politique.
À côté de la pratique psychodynamique il est une autre composante de notre ligne politique, celle qui se fonde, par ailleurs, sur la francophonie en tant que vecteur linguistique commun à nos organisations et personnes adhérentes, vecteur qui nous unit et nous permet de penser ensemble pour enrichir nos expériences. Ce n’est peut-être pas un hasard si la francophonie, étymologiquement « parole libre », nous ouvre des perspectives dans l’approche des relations humaines et leurs souffrances… au point de pouvoir avancer qu’ALFAPSY serait le fruit de la rencontre du multiculturel et de la francophonie.
Mais quel rapport entre francophonie et psychiatrie humaniste ?
Le lien privilégié entre francophonie et psychiatrie humaniste (et psychodynamique) se situerait-il dans le fait que par son histoire la langue française serait, plus que d’autres langues usuelles, porteuse de signifiants ouverts sur de nombreux signifiés ? et dans le fait qu’elle supporterait sans doute mieux que bien d’autres ce fameux manque à tout dire du langage codifié ou institué dans son rapport à la langue maternelle par laquelle le sujet est parlé (du fait de l’inconscient) ? et peut-être parce qu’elle n’est justement « pas-toute » (allusion au concept du « pas-tout » lacanien) laisserait-elle ainsi un espace opportun, « la place d’exception » comme le dirait Jean-Pierre Lebrun, pour que du sujet puisse se dire dans sa singularité ?
Émile Benveniste écrivait « la langue est ce qui tient ensemble les hommes » (Problèmes de linguistique générale, Gallimard 1966). Or si le langage est bien, par sa spécificité humaine, ce qui constitue notre accès primordial au Symbolique, la langue, quant à elle, en est son vecteur majeur et, dans ce registre, le français semble être en bonne place.
Toute la question, en terme de compétition linguistique, se situerait alors au niveau des capacités plus ou moins grandes d’une langue à générer du symbolique quand une autre fournirait d’emblée plutôt de l’imaginaire. Avec la mondialisation et la société de marché la tendance semblerait bien s’orienter dans ce sens-là, celui de l’imaginaire. Du coup, à l’inverse et comme pour s’y opposer, on assiste au retour de valeurs linguistiques à forte contrainte symbolique de type paternel comme en fournit en particulier le langage religieux. Or curieusement, dans ce rapport de compétition linguistique aux conséquences mondiales redoutables y compris dans le champ qui nous occupe, c’est-à-dire la psychiatrie et la psychanalyse, la langue française apparaît plutôt bien se situer à mi-chemin et donc bien placée, à terme, pour regagner la confiance, non plus des seules élites érudites ou chanceuses mais celle des classes plus populaires moins nanties. Encore faudrait-il que, une fois définitivement affranchie de sa repentance postcoloniale, la langue française reste bien celle de la liberté, de la laïcité et de l’émancipation à la lumière de la mondialisation, autrement dit qu’elle s’ouvre largement à l’immigration et au métissage en prenant toutes les mesures d’enrichissement mutuel entre migrants et autochtones.
Utopie, certes mais pourtant, si hier c’était l’impérialisme colonial (le français en tête) qui dominait et si aujourd’hui c’est l’impérialisme techno-économique qui l’emporte (l’anglais en tête), gageons que dans l’avenir le français saura éviter la novlangue totalitaire, baillon de la subjectivité, pour retrouver le cœur de l’humain, sa fragilité et sa créativité.