Par Michel Jurus, psychiatre et président de l’association Alfapsy, juin 2023
En France, depuis de nombreuses années, une volonté de réforme financière de la psychiatrie est apparue dénonçant la désorganisation des services de psychiatrie pour mieux réduire les lits hospitaliers mais promettant d’augmenter les soins ambulatoires qui ont aboutis à une pénurie de psychiatres libéraux, de Centre Médico-Psychologiques (CMP) et de Centre Médico Psycho Pédagogiques CMPP) au profit de plateformes diagnostiques aussi couteuses qu’inutiles et d’une politique du handicap qui éloignent les patients des réseaux de soins.
Le temps est-il coûteux ?
Dans l’esprit des décideurs financiers, le temps est couteux. Pour l’Institut Montaigne et son satellite FondaMental, les maladies mentales affecteraient près de 20 % de la population chaque année. Ces officines se sont concentrées sur quatre pathologies parmi les « plus graves » : schizophrénie, dépression résistante, troubles bipolaires et autisme. Elles formulent des propositions dites « concrètes » pour contribuer à réduire les conséquences désastreuses de ces maladies, tant à l’échelle individuelle que collective. Collective : c’est à dire ? : en 2016, les dépenses liées aux maladies psychiatriques et à la consommation de psychotropes s’élevaient à 23 milliards d’euros, sur un budget total de 161 milliards d’euros. Elles représenteraient près de 14 % des dépenses totales et se plaçaient comme le premier poste de dépenses par pathologie, devant les maladies cardio-vasculaires (16 milliards d’euros) et les cancers (17,4 milliards d’euros). En 2014, les financiers annonçaient la première place en 2020 : c’est dire comme les mesures sont approximatives car c’est fait depuis 2016. Nous comprenons bien où se trouve le désastre pour les financiers ainsi que leur avidité à trouver des méthodes plus profitables pour eux au mépris de la population.
Cette réforme financière profite aux assurances au détriment des patients et de leurs familles. Les États-Unis sont le pays du monde où les dépenses de santé sont les plus fortes mais où les femmes doivent emprunter pour décider d’une grossesse. Les dépenses dues aux soins psychiatriques ne cessent d’augmenter et sont déjà le premier poste dans le monde. Étonnement, ces dernières années, des options productivistes ont été privilégiés par les pouvoirs publics sous la direction des pouvoirs financiers au détriment de la qualité du soin pour réduire cette fuite en avant. Et n’ont fait que l’accélérer ! L’Angleterre connait une situation catastrophique à la suite de cette politique et dans la plupart des pays l’accès aux soins pour les malades mentaux reste restreint.
L’industrie, assurantielle et pharmaceutique, privilégie une politique de la psychiatrie de culture intensive avec une réduction massive des lits et des moyens humains. Prendre un médicament serait moins couteux que de parler. La consultation devrait être brève avec des questions standardisées comme cela se voit dans les nouvelles techniques de management où les cadres doivent réciter des textes comme sur les plates-formes. Les psychiatres devront bientôt, comme des ordinateurs, poser des questions standards comme des logiciels et faire des prescriptions standards. Combien de temps faudra-t-il pour retrouver un soin authentique respectueux des patients sans être traités comme des consommateurs ? Nous observons que le diagnostic en psychiatrie serait devenu une affaire de vitesse et de virtuosité. Certains psychiatres se vantent de faire des diagnostics suivis de traitement en quelques minutes. La vitesse serait un critère de qualité dans le soin car cela baisse le coût. Ce qui est dangereux sur les routes le serait moins en psychiatrie. Nous observons que des patients qui se retrouvent dans l’errance diagnostique passant de la schizophrénie à la maladie bipolaire d’un service à l’autre alors qu’il s’agit de pathologie névrotique. Heureusement pour les champions scientistes du diagnostic instantané la schizophrénie et les troubles bipolaires seraient en passe de devenir une seule maladie car elles présenteraient des anomalies cérébrales communes identifiées grâce aux progrès de la neurobiologie et de la neuro-imagerie. Les pathologies psychiatriques deviennent ainsi des handicaps neurodéveloppementaux qui ne justifieraient plus d’une prise en charge psychiatrique sauf en cas de troubles du comportement !
À ce rythme, il existera bientôt qu’une seule pathologie qui s’appellera maladie de la santé mentale ce qui ferait un gain de temps appréciable dans la course au diagnostic 🙂
Une prépondérance de la Santé Mentale sur le soin ?
La stigmatisation de la psychiatrie est passée aussi par une mise en place de la prépondérance de la Santé Mentale sur le soin. Tout ne serait qu’une affaire de prévention et de déstigmatisation des altérations de la Santé Mentale qui justifierait de la baisse de la possibilité de l’accès aux soins. Les soignants en psychiatrie seraient en passe d’être les derniers à devoir s’occuper des malades mentaux. Ils sont montrés du doigt comme responsable de soins interminables et inefficaces. IL faudrait augmenter la productivité, faire du diagnostic et parler moins avec les malades. La psychiatrie dynamique est stigmatisée comme une causerie inutile !
Alfapsy n’accepte pas que le soin soit bradé par des financiers avides de faire de l’argent sur le dos de la population sans aucun respect pour le bien commun. L’avidité financière détruit le monde industriel, les emplois, l’éducation et la protection sanitaire et sociale. Elle voit la relation humaine comme une perte d’argent. Elle abaisse l’accès aux soins et provoque une augmentation des dépenses pour les populations mais une augmentation des profits pour les assurances. La financiarisation aggrave les inégalités.
La relation humaine, qui s’établit au fil des consultation, est indispensable aux soins. Il est temps de revenir à des méthodes de soins simples, efficaces et d’en accepter le cout qui était déjà faible.
Nous, soignants, nous devons cesser de nous sentir coupable et dénoncer cette stigmatisation des soins psychiatriques. Dénonçons sans répit, cette gangrène de la financiarisation des soins ! Il devient important de défendre nos valeurs car le soin n’est pas un commerce. Cessons de subir des attaques honteuses et n’hésitez à rejoindre ALFAPSY qui défend une psychiatrie humaniste !
https://www.helloasso.com/associations/alfapsy/adhesions/adhesion-annuelle-alfapsy-2023