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Retour sur le Colloque international Paris-Diderot – 5 et 6 novembre 2021

Quel dialogue entre psychiatrie, psychologie clinique et psychanalyse ?

Quelle formation clinique pour les psychiatres et psychologues d’aujourd’hui ?

La psychanalyse et les sciences du vivant

Table Ronde ALFAPSY  CIP6

  1. Aïda Sylla : Devenir de professionnel de santé mentale au Sénégal
  2. Raphaël Ezratty : De l’étudiant au médecin, psychodynamique du regard psy
  3. Michel Jurus : Désapprendre pour apprendre
  4. Paul Lacaze : Mais qu’est-ce donc qu’un patient ?

avec Paul Lacaze, Aïda Sylla, Michel Jurus, Raphaël Ezratty Benamouzig

Paul Lacaze, neuro-psychiatre, psychanalyste, fondateur ALFAPSY,

Mais qu’est-ce donc qu’un patient ?

1/ À l’origine de ma question telle que je la pose aujourd’hui, « mais qu’est-ce donc qu’un patient ? », un congrès d’Internes en Psychiatrie, le CNIPSY à Montpellier en 2017. Avec Josiane Vidal et le Bureau Exécutif ALFAPSY nous avions convenu de soutenir ce congrès en partageant avec les Internes de l’hôpital nos compétences organisationnelles dans un partenariat financier.  À cette occasion nous évoquions notre propre formation de psychiatres, 50 ans plus tôt en ces mêmes lieux. Nous parlions de la confrontation des différentes théories et pratiques existant à cette époque-là (années 60-70). On sortait de la période dite « asilaire » avec ses pratiques de « chocs » pour entrer, grâce à l’apparition puis diffusion des neuroleptiques et autres psychotropes, dans celle du Secteur, de la Psychothérapie Institutionnelle, alimentée par les approches psychanalytiques (lacanienne en particulier), phénoménologiques, avec les psychothérapies verbales ou de groupe, médiatisées ou corporelles, en particulier pour  les psychoses.  Au début on parlait des « fous », des « aliénés » puis des « malades mentaux » en services fermés, mais avec la nouvelle dynamique de Secteur et de Psychothérapie Institutionnelle, avec les premières « sorties d’essai », les « hospitalisations à temps partiel » et autres « placements libres » est apparu le mot de « patient » de façon plus courante. Il était, par là, signifié au malade qu’on prenait en compte sa dimension de « Personne » –  pas encore tout à fait celle de « Citoyen » – et que l’on reconnaissait alors que le soin prenait un sens, celui de « prendre soin ». On y incluait donc les relations sociales, familiales, les relations au travail et à l’argent, on se préoccupait à la fois des questions de santé et de responsabilité. L’accompagnement prenait réellement un caractère humain !

À ces mots le Chef Interne auprès de qui j’échangeais ces quelques mots me dit sur le mode incrédule : « mais qu’est-ce donc qu’un patient ? Depuis toutes ces années on nous enseigne des choses intéressantes sur les pathologies en psychiatrie, leurs classifications, leurs protocoles de soins, les neurosciences et la psychopharmacologie mais on termine notre formation et on ne sait toujours pas ce qu’est un patient ! »

Vous pouvez imaginer ma surprise ! Je vous en fais part aujourd’hui à l’occasion de cette Table Ronde car ça m’a rappelé ma propre formation avec des Maîtres comme Pierre Martin qui nous disait : « en psychiatrie oubliez le schéma médical somatique (observation, examen clinique, paraclinique) pour mieux vous concentrer sur l’écoute du sujet ! », ou bien Henri Ey et l’organodynamisme ou encore François Tosquailles à St Alban et la psychiatrie hors les murs, etc.   

Je me suis alors mis à repenser à ce qui constitue pour moi les 2 éléments structurels fondamentaux de la Personne :

  • Son éthos, son  « disque dur » en tant qu’être parlant ou « parlêtre »
  • Son pathos, son « logiciel soft » en tant que langage de sa souffrance
  • Entre les 2 le Sujet « erre » face à sa souffrance d’être un humain de langage

2/ L’idée de cette errance du Sujet face à sa souffrance légitime que l’on se pose la question « qu’est-ce qu’un patient ? »

  1. Est-ce un individu ? un usager ? un consommateur ? ou plus précisément un malade ? porteur d’une pathologie version « pathos » à laquelle il s’identifie (faute de mieux…) sous la forme du « Malaise » au point d’apparaître tel un objet d’observation et de traitement, selon le schéma de ce que je nomme « clinique de l’objet » ;
  2. Est-ce une Personne ? un sujet ? un humain porteur d’une souffrance (de nature physique, psychique, traumatique ou mixte) version « éthos », sous la forme d’un « Malêtre » duquel il cherche à se démarquer par un travail de résolution selon  une approche clinique psychodynamique que je nomme « clinique du sujet » 
  3. En fait, le « patient » c’est tout ça à la fois, un malade humain souffrant mais aussi, de façon consubstantielle, une personne en demande de partage d’écoute et de soin avec un autre humain supposé savoir ce qu’il en est de cette souffrance. C’est ce que je nomme alors la « clinique de l’intersubjectivité », ou autrement appelée, en terme psychanalytique, la « clinique du transfert ».

3/ Ayant délimité les différents types d’approches conduisant à la représentation d’un patient avec les variantes cliniques qui s’y rapportent, « clinique de l’objet », « clinique du sujet », il me paraît inévitable d’aborder l’importante et épineuse question des classifications en psychiatrie.

Dans le champ médical, psychiatrique en particulier, les classifications sont souvent bien commodes pour se repérer dans la conduite des soins. Elles sont généralement le reflet de la représentation que les chercheurs et cliniciens se font des maladies et des malades. Elles évoluent donc selon les étapes historiques et épistémologiques, selon les avancées de la recherche, des sciences et de la technologie, selon les cultures et le  poids des lobbies… Personnellement, en suivant mon interrogation sur la question du « patient », j’envisage 3 catégories de classifications.

  1. Les classifications nosographiques : elles reposent sur l’apparence des symptômes.
  2. Elles sont les plus classiques en Occident dans la mesure où elles sont fondées essentiellement sur l’observation « objective » ;
  3. Elles sont plus variées et différentes lorsqu’elles sont issues des traditions culturelles ;
  4. Dans notre époque postmoderne elles tiennent avant tout compte des comportements et tendent à devenir des catalogues (au sens étymologique du mot) : on pense au DSM ou à la CIM et même, en France, la CFMM…

Ces classifications nosographiques ont en commun de refléter la surface des pathologies par laquelle le malade offre à voir son symptôme en tant qu’objet de soin.

  • Les classifications structuralistes : elles sont moins reconnues en ce sens qu’elles reposent non plus sur le symptôme mais sur ce que Lacan appelle le « synthome », néologisme complexe qui présente l’avantage de décrire un symptôme comme langage par où le sujet s’exprime. Ces classifications renvoient aux topiques freudiennes et à la topologie lacanienne, toutes deux relatives aux névroses, aux psychoses et aux perversions
  • Pour ma part je me réfère à une 3e catégorie classificatoire, celle du transfert, moins « visuelle », plus subtile, celle où le patient devient l’analysant, le praticien l’analyste dès lors que diagnostic et traitement sont consubstantiellement liés et qu’entre patient et praticien se met en place une « clinique du transfert intersubjectif ».

4/ C’est de cette clinique du transfert intersubjectif que, selon moi, on peut s’approcher au plus près de « ce qu’est un patient ».

Comment ?

  1. Dans la relation intersubjective soignant-soigné, l’opération soignante met en jeu, au-delà des approches cliniques classificatoires, la dimension Inconsciente de l’être du sujet soignant d’une part, tout autant que celle de l’être du sujet soigné d’autre part.
  2. Cette alliance des 2 champs inconscients exige un cadre de soin partagé, respectueux du lien opératoire en place, au point de le caractériser par l’emploi, quasi-systématique chez chaque protagoniste, du pronom possessif : mon médecin, mon psy pour l’un, mon patient, mon analysant, mon malade pour l’autre ! On mesure là à quel point la notion de « patient » est consubstantielle de celle de soignant.
  3. À ce stade et pour tout soin, précisons ce que cette consubstantialité exige :
  4. la mise en place, tel que déjà cité, d’un cadre opératoire strictement réservé à l’usage du patient concerné et sans cesse rappelé ainsi, y compris dans les circonstances exceptionnelles, hors-normes (urgence, hospitalisation, groupe, domicile, etc.)
  5. une référence éthique rigoureuse comme support de transfert (analysé ou non) par laquelle l’asymétrie des places (soignant-soigné) puisse fonctionner comme une mise en tension élaboratrice soignante. Le schéma pourrait être le suivant : le soigné – patient – qui sait qu’il ne sait pas qu’il sait, demande à l’Autre soignant – praticien – supposé savoir, d’en dire quelque chose à sa place (pathos) ou de l’aider à la supporter par ses propres moyens  (ethos)

Pour finir, en réponse à la question posée par mon confrère Chef Interne : « Mais qu’est-ce donc qu’un patient ? » je propose approximativement ceci : un patient est un être parlant porteur d’une souffrance, d’une  maladie, d’un handicap ou autre qui, dans un contexte de réalité ou de pratique soignante (individuelle ou institutionnelle, privée ou publique), formule (verbalement ou non) une demande de soin plus ou moins explicite, directe ou indirecte à l’adresse d’un praticien autre sujet de langage (analyste, psychologue ou psychiatre) pour que, dans ce cadre éthique, ensemble ils parviennent à en dire quelque chose qui devienne plus supportable.

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